JE SUIS UN CHEVAL FOU. JE REGNE SUR LE MONDE DEPUIS DEUX MILLE ANS.
Nous étions dieux descendus d’un olympe sur la terre déserte. De nos sabots surgirent des forêts, jaillirent des torrents, s’élevèrent des montagnes. Insouciants et joyeux, nous ne pensions qu’aux jeux. Puis ce fut le carnage. Des chevaux fous, lancés comme des érinyes sur le sable par les féroces Tartares sont apparus à tous les horizons, la crinière au vent. Leurs naseaux dorés crachaient du brouillard et du sang.
Ils furent des tyrans puissants. Ivres et furieux, ils n’agissaient que par des ruades d’aliénés meurtrières. Les chevaux noirs, possédés par leur propre fureur, se sont entretués. D’eux, seul est resté un fin ruisseau de sang qui a coulé pendant trente ans.
Le joug humain ne fut pas pire mais désastreux. Partout et durant des siècles, ils se sont battus. Dans les batailles, les sabots foulaient les corps.
Il était un cheval sanguinaire du nom de J-------y qui n’avait pas péri. Ses monologues à demi murmurés étaient inintelligibles, et personne ne pouvait soutenir la profondeur morbide de son regard. Son aspect effrayant nous tenait à distance. Je crois qu’il mourut.
A présent il me faut les quitter.
Le waïkapitu partira vers la steppe d’Asie centrale, vers les bras ouverts d’une cavalière.
Kochevoï